Une société ayant été fortement critiquée dans ses pratiques commerciales par des avis de consommateurs avait saisi la justice pour dénigrement contre la plateforme accueillant ces avis, le site Signal-Arnaques – qui a déjà eu affaire à la justice. Mais un récent arrêt de la cour d’appel de Paris (7 septembre 2023) vient confirmer un jugement qui avait rejeté une demande de condamnation pour dénigrement d’avis publiés sur cette fameuse plateforme.
Des activités critiquées discutables
Les commentaires publiés permettent de comprendre que la société « s’adresse aux entrepreneurs, pour proposer ses services en matière d’affichage obligatoire, par l’envoi d’une lettre comportant la mention “Affichage obligatoire” et mentionnant des “sanctions pénales”, avec mention d’un prix et de modalités de paiement » ainsi que le rappelle la cour. Elle constate aussi que « la base factuelle des propos apparaît sérieuse, une confusion pouvant naître dans l’esprit d’entrepreneurs peu informés ». Et de fait, nombre de nouveaux entrepreneurs, croyant avoir affaire à une obligation légale, ont contracté avec la société.
Notons que ce genre de pratique commerciale pourrait relever des pratiques commerciales trompeuses. C’est le cas notamment lorsque – comme nous l’avons déjà vu faire – la bannière de la France tricolore apparait sur les documents pour paraître encore plus officiel, créant la confusion dans l’esprit du public. La question ne s’est pas posée en l’espèce, le litige opposant la société critiquée à Signal-Arnaques, diffuseur des critiques. Et en l’occurrence, la cour relève que dans les documents fournis, « une mention en petit format précise certes qu’il s’agit d’une offre facultative commercialisée par une société de droit privé, le caractère légal de la démarche n’étant pas en cause ».
Procédure
Le 2 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris avait débouté la société plaignante et l’avait condamnée à des dommages-intérêts pour indemniser les propriétaires de Signal-Arnaques de leurs frais de justice et d’avocat.
La société ayant fait appel, l’affaire se retrouvait donc le 7 septembre dernier devant la cour d’appel de Pairs.
Ne pas confondre avis négatif et dénigrement
La cour d’appel a confirmé la décision du tribunal judiciaire. Elle développe des arguments qui retiennent toute notre attention en tant que nettoyeurs du net.
Elle rappelle pour commencer, un certain nombre de règles de base, notamment une définition du dénigrement – nous y revenons plus loin.
Mais surtout la cour cite les contenus jugés comme litigieux par la société prétendument dénigrée. Ces citations révèlent les pratiques commerciales de cette société, ce qui met en lumière le caractère au minimum critiquable de ces pratiques.
Dénigrement ou libre critique ?
À propos des avis litigieux, la cour constate un point à nos yeux essentiel :
« Si les propos visés sont empreints d’une certaine virulence, ils n’apparaissent pas dépasser la libre critique et les limites admissibles de la liberté d’expression, étant observé que l’emploi du terme “arnaque” ne renvoie pas, comme l’a indiqué le premier juge, à une infraction pénale d’escroquerie, mais plus à l’acception la plus large du terme, à savoir un engagement n’apportant pas le gain attendu et faisant naître une déception chez l’utilisateur du service ».
Arguments complémentaires de la cour
La cour constate encore que la société critiquée « n’a pas non plus utilisé les outils du site pour répondre aux commentaires et apporter la contradiction, de nature à relativiser les critiques ainsi émises ».
Elle en déduit que « dans ces conditions, le dénigrement allégué ne dépassant pas les limites admissibles de la liberté d’expression, il n’y a donc pas lieu d’ordonner de mesures de retrait, qu’il s’agisse des discussions dans leur entièreté ou même de l’emploi de certains termes par les internautes ».
Commentaires
Deux points de commentaire sur cette décision.
La liberté d’expression et de critique est un principe fondamental
La cour note que la liberté d’expression, qui inclut la liberté de critique, est une liberté fondamentale, garantie – rappelons-le – par les diverses déclarations de droits de l’homme dans le monde, à commencer par la nôtre, « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 11).
Une définition étroitement juridique du mot arnaque
En revanche, nous serons plus circonspect sur l’analyse du mot arnaque. Il est permis de s’interroger sur l’affirmation selon laquelle le « terme “arnaque” ne renvoie pas (…) à une infraction pénale d’escroquerie ».
Qu’est-ce qui permet au juge de décider que cette épithète n’est pas un synonyme d’escroquerie dans l’esprit du consommateur, le premier concerné en matière d’avis ? N’est-ce pas là une position trop juridique, même si elle a déjà été invoquée devant les tribunaux ?
Le dictionnaire Larousse consulté propose les synonymes suivants au mot arnaque : « carambouillage, carambouille, escroquerie, fraude, grivèlerie, indélicatesse, malhonnêteté, malversation, tricherie, vol » (nous soulignons les termes qui sont incriminés par une infraction pénale). Le Robert propose lui : « escroquerie, vol ; tromperie ». Pour la plupart des dictionnaires de synonymes, le terme le plus souvent rapproché d’arnaque est escroquerie. Il est donc permis de penser que les deux concepts sont souvent très proches dans l’esprit du public, spécialement du consommateur piégé par ce que le droit de la consommation qualifie de pratiques commerciales trompeuses, pénalement sanctionné.
Cette affirmation n’est-elle pas celle de magistrats un peu trop éloignés des réalités vécues par le simple citoyen ?
Un délit d’information ?
Par ailleurs, « arnaque » ne serait-il pas un terme qui constitue une « expression outrageante, termes de mépris ou invective » qui « porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne », ce qui est l’exacte définition de l’injure aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, incriminant les délits de diffamation et d’injure ?
Notons cependant que les délits d’injure et de diffamation sont prescrits trois mois après la publication de contenus litigieux, délai qui avait probablement été dépassé au moment de la première plainte de la société contre Signal-Arnaque.
Un raisonnement téléologique ?
Même si, en l’occurrence, la décision n’est pas choquante au regard du risque de confusion dans l’esprit du public induit par les annonces et documents de la société critiquée – nous l’avons souligné, à la limite des pratiques commerciales trompeuses – nous maintenons notre critique en ce qu’elle n’est pas nouvelle en jurisprudence (en ce sens, voir le jugement du TGI de Paris du 13 février 2014 sur Legalis.net). Cependant, en l’espèce, il est permis de penser qu’on a affaire à un raisonnement conduit en fonction du but poursuivi (téléologique) qui aurait été de refuser la censure au regard des pratiques discutables de la société critiquée, sans le dire…
Découvrir l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 7 septembre 2023 sur Legalis.net : https://www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-1-ch-2-arret-du-7-septembre-2023/
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