Dans la partie consacrée à l’Économie de la donnée de la loi du 7 octobre dernier « pour une République numérique », il est une disposition peu médiatisée mais qui revêt un intérêt particulier sous l’angle de l’e-réputation, sur l’anonymisation des décisions de justice.
L’article 21 de la loi dispose :
Le chapitre unique du titre Ier du livre Ier du code de l’organisation judiciaire est complété par un article L. 111-13 ainsi rédigé :
« Art. L. 111-13. – Sans préjudice des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées.
« Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes.
« Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du code des relations entre le public et l’administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces décisions.
« Un décret en Conseil d’État fixe, pour les décisions de premier ressort, d’appel ou de cassation, les conditions d’application du présent article. »
Outre le fait que cette disposition pose la principe général de la publications de toutes les décisions de justice en ligne, elle revient sur la question de l’anonymisation des décisions de justice.
L’anonymisation des décisions de justice confirmée et renforcée
La formulation légale mérite qu’on s’y arrête. Il est question de publier « dans le respect de la vie privée des personnes concernées« . L’alinéa suivant est encore plus explicite, en dépit de son caractère sibyllin : « Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes. »
Pour absconse qu’elle puisse paraître, cette dernière formule reprend et renforce, sous les termes de « risque de ré-identification » le danger que la Cnil avait très vite vu venir et pour laquelle elle avait émis une recommandation dès le 29 novembre 2001 : l’obligation d’anonymiser les décisions de justice publiées sur internet.
Il s’agissait d’une simple délibération de la Cnil, portant recommandation, mais les faits montrent que celle-ci a non seulement été suivie par Légifrance, mais aussi par tous les sites qui publient des décisions de justice, à quelques très rares exceptions près.
L’expression « risque de ré-identification » est plus large que la simple anonymisation telle que pourrait l’imaginer le néophyte, c’est-à-dire la suppression du nom du protagoniste (victime, témoin ou prévenu).
La ré-identification correspond très exactement à ce que l’article 2 al.2 de la loi Informatique, fichiers et libertés définit comme une donnée à caractère personnel : « toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement… »
En effet, le seul fait de supprimer un nom ne supprime pas forcément la possibilité d’identifier la personne, à ceci près que les moteurs de recherche ne retrouveront pas la personne en recherchant sur son nom.
Rappelons l’exemple qui avait fait sourire, signalé sur la liste Juriconnexion en son temps par Stéphane Cottin :
« M. Michel X… a saisi le 21 novembre 2000 les juges d’instruction d’une requête motivée en vue de l’audition, en qualité de témoin, de M. Jacques Y…, à l’époque des faits maire de Paris et aujourd’hui Président de la République« .
On est là face à un cas où la personne est identifiable, en dépit de la surpression du patronyme.
L’anonymisation acquiert force légale
La recommandation de la Cnil de 2001 n’était pas qu’un vœu pieux, ainsi que la rappelé le Conseil d’État dans une décision du 23 mars 2015 (notre actualité du 12 mai 2015 sur notre site principal).
Toujours est-il que le dispositif, désormais inséré dans le Code de l’organisation judiciaire donne force légale à la recommandation de la Cnil.
Rappelons-en les fondements, synthétiquement :
- Respect de la vie privée des personnes concernées ;
- Analyse du risque de ré-identification des personnes, suivie, on l’imagine des décisions qui s’imposent à savoir masqué tous les éléments d’identification, directe ou indirecte, de la personne, quel que soient ces éléments dès l’instant qu’un risque existe de pouvoir identifier l’intéressé.
Un décret d’application est attendu pour les modalités d’application de cet article. Espérons qu’il paraîtra dans les 6 mois, comme il se doit… en principe.