Notre série d’articles sur le droit à l’oubli se poursuit en évoquant cette fois des éléments historiques de ce qu’on peut, avec du recul, considérer comme la reconnaissance d’un premier « droit à l’oubli numérique » au sens plein de cette expression.
Lorsque le Web a pris l’ampleur qu’on ne lui soupçonnait pas forcément dans les tout débuts et qu’il est devenu le vecteur mondialisé de tout type d’information, véhiculant inévitablement des données à caractère personnel, la Cnil a très vite compris la portée et les dangers de la publication de tout et de n’importe quoi sur le net.
L’attention s’est ainsi portée tout particulièrement sur les décisions de justice, surtout lorsque feue Jurifrance, base de données sur abonnement payant réservée à une clientèle de professionnels du droit, s’est transformée en Légifrance et que sur cette plateforme gratuite ayant vocation à offrir tout le droit français en ligne, il a été question d’y publier les décisions de cours suprêmes – Cour de cassation en matière civile et pénale ; Conseil d’État en matière de justice administrative – ainsi que des décisions de cours d’appel, mentionnant inévitablement les noms des parties aux procès.
Une analyse de bon sens de la Cnil
La Cnil a très vite vu le danger qu’il pouvait y avoir de découvrir, grâce aux moteurs de recherche, qu’une personne de ses connaissances avait été mêlée à une instance judiciaire, pas forcément en situation d’être condamnée civilement ou pénalement. Dans tous les cas de figure, exposer ainsi la participation d’une personne à une affaire judiciaire, sans son accord, constitue une révélation d’éléments de faits qui appartiennent au cercle de sa vie privée.
Bien sûr, le dommage peut être plus grand lorsque la personne a été l’objet d’une condamnation pénale. Être condamné et payer sa dette à la société est une chose, maintenir en ligne ad aeternam les traces de sa condamnation constitue une sorte de « flétrissure » au sens pénal que ce terme avait sous l’ancien régime où l’on n’hésitait pas dans certains cas à marquer les condamnés d’une marque infamante, d’une flétrissure, comme par exemple une marque au fer rouge sur le corps…
Pour éviter une nouvelle sorte de flétrissure « en ligne » qui n’est pas dans la culture de nos pays d’Europe (nuance qui nous sépare notamment des États-Unis où les tribunaux publient par exemple, la photo des pédophiles, afin que nul ne l’ignore), la Cnil a donc pris dès 2001 une délibération recommandant l’anonymisation des décisions de justice lorsque celles-ci étaient mises en ligne sur internet. Cette recommandation est aujourd’hui suivie par tout site publiant des décisions de justice françaises.
Nous sommes ainsi face à la toute première application de ce qu’on nomme depuis peu « droit à l’oubli numérique » et que d’aucuns à la Cnil, auraient aimé voir inscrit dans notre Constitution.
En savoir plus
Voir la Délibération n° 01-057 du 29 novembre 2001 portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données de jurisprudence sur le site de la Cnil.
Voir notre article sur L’anonymisation des décisions de justice sur notre site principal Les Infostratèges.
Voir aussi sur ce même site notre article du 3 décembre 2009 Vous avez dit Droit à l’oubli numérique ? qui évoque l’avis du président de la Cnil de l’époque, Alex Türk, sur l’inscription du droit à l’oubli numérique dans la constitution.