L’expression « droit à l’oubli » s’est trouvée brutalement médiatisée et popularisée à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 mai dernier, tranchant une question préjudicielle sur l’application de la directive sur la protection des données à caractère personnel aux moteurs de recherche internationaux. Mais cette expression, dont l’emploi est un peu excessif dans ce cas précis, dès son utilisation par le service de communication de la CJUE, est bien plus ancienne et remonte aux années 1970.
Nous allons parcourir en quelques étapes l’histoire de ce droit à l’oubli.
Le droit à l’oubli naturel
L’oubli est cette faculté de l’esprit humain d’effacer ou de laisser se perdre la mémoire d’un fait, d’un évènement.
En termes de médias classiques, presse papier et audiovisuelle, le phénomène de l’oubli se fait naturellement puisque, surtout dans le rythme effréné de production d’informations nouvelles chaque jour, un événement chasse l’autre et même si certains faits divers ou historiques frappent les esprits et donc entraîne un souvenir persistant dans l’esprit du public, l’oubli s’installe plus ou moins lentement.
Un proverbe veut que les paroles s’envolent mais les écrits restent : on pourrait être tentés de l’appliquer à la presse papier et audiovisuelle, mais il faut introduire des nuances.
Pour ce qui est de l’audiovisuel, certes les paroles, voire les images, s’envolent, même si on pourrait disserter longuement sur le pouvoir des images sur la mémoire, mais là n’est pas notre débat.
Pour ce qui est de la presse papier, même si les écrits restent, les quotidiens et même les hebdomadaires ou les périodiques ayant une plus longue fréquence sont lus pour l’actualité qu’ils proposent et ensuite sont abandonnés par la plupart des lecteurs, rares étant ceux qui organisent leur documentation en conservant des coupures de presse et de toute façon ceux qui le font se concentrent uniquement sur les sujets qui les intéressent : le reste s’éloigne donc de leur mémoire. Et nombreux sont les journaux qui vont à la poubelle au bout d’un moment.
De sorte que l’oubli se fait naturellement, tant du côté de la presse papier qu’audiovisuelle.
La mémoire des archives
Aujourd’hui, et depuis plusieurs décennies, presque toutes les émissions de radio et de télévision sont enregistrées et conservées. Et bien sûr toute la presse papier est elle aussi archivée, notamment par cette mémoire de l’histoire organisée volontairement dans notre pays depuis François 1er sous la forme de l’actuel dépôt légal. Il ne est de même avec la mission d’archivage audiovisuel de l’Institut national de l’audiovisuel (INA).
Et d’une manière plus générale la mission des services d’archives dans tous les pays du monde est de conserver la mémoire de l’histoire des pays et des peuples.
Entre mémoire et oubli
Cette mémoire des archives contre-t-elle la notion d’oubli ?
Tout dépend du niveau auquel on se place.
Sur le plan de l’oubli absolu de l’histoire, les archives ont pour but de préserver la mémoire, s’opposant donc à l’oubli, c’est évident.
Première nuance : cet archivage n’est pas ouvert à tous et il est des règles de communicabilité de certains types d’archives qui font que nul ne peut accéder à certains documents pendant un délai qui permet de prendre du recul et de ne pas nuire aux personnes encore en vie, voire à leurs descendants immédiats.
En conséquence :
– La mémoire est préservée de l’oubli dans l’absolu,
– Mais elle n’est certainement pas ouverte à tous ni pour tout.
L’oubli reste donc possible pour le grand public.
C’est ce que nous appellerons le droit à l’oubli naturel : il n’est nul besoin de le formaliser, puisqu’il fonctionne naturellement, sauf dans les rares cas où des individus veulent creuser une question, faire des recherches et retrouver des faits, des documents du passé.
C’est donc à partir du moment où on a commencé à se doter d’outils de traitement de l’information puissants comme l’informatique que la notion de droit à l’oubli va se concrétiser.
Ce sera notre prochaine étape.